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Données et gestion de la TVA : les Directions Fiscales et Financières face aux défis de la digitalisation accrue du contrôle fiscal

Publié le 18 décembre 2025 à 16h35

 Temps de lecture 12 minutes

Par José-Manuel Moreno, avocat, associé TVA, PwC Société d’Avocats, Laurent Poigt, avocat associé, Tax Technology, PwC Société d’Avocats, Isabelle Vachette, PwC Société d’Avocats et Alexandre Brun, avocat, PwC Société d’Avocats

A l’aune de la mise en œuvre de la réforme de la facturation électronique en septembre 2026 conjuguée au renforcement et à la digitalisation des obligations fiscales, la gestion de la TVA et de ses données apparaît comme une des priorités absolues des Directions Fiscales. La dématérialisation des données de facturation et l’obligation de transmission de ces dernières à l’administration fiscale obligent les entreprises à se transformer et se réinventer radicalement pour faire face aux nouveaux défis des contrôles fiscaux annoncés.

Malgré l’arsenal de mesures anti-fraude TVA et la digitalisation du contrôle fiscal mis en place ces dernières années au travers, de brigades informatiques (BVCI) pour la conduite des contrôles des comptabilités informatisées (CFCI), du fichier des écritures comptables (FEC), de la réglementation sur la certification des systèmes de caisse ou encore de la documentation de la piste d’audit fiable des factures, l’administration fiscale ne disposait pas encore de mesures suffisamment robustes pour contrôler en masse les activités et les règles TVA appliquées par les entreprises.  La réforme de la facturation électronique attendue en septembre 2026 rebat les cartes et place la TVA au cœur des priorités du contrôle fiscal digitalisé.

Les nouveaux programmes autour de la facturation électronique (e-Invoicing et e-Reporting) en France ou à l’étranger, conjugués avec la mise en place future de la Directive VIDA (1), présentent des statistiques fortement encourageantes pour les administrations fiscales en matière de lutte contre la fraude à la TVA.

Pour les entreprises, et en particulier en matière de gestion de la TVA, ces réglementations n’impliquent pas simplement un bouleversement technique mais bien un changement de paradigme qui va redéfinir les rôles, responsabilités et priorités des directions fiscales.

Dans ce contexte, nous rappelons les modalités de déploiement et d’utilisation du datamining en France pour les besoins du contrôle fiscal, avant d’analyser les conséquences directes sur la gestion de la TVA par l’entreprise. Enfin, nous exposerons les enjeux de transformation inhérents aux Directions Fiscales et Financières afin de faire face aux défis annoncés de la digitalisation du contrôle fiscal.

La saga à succès du contrôle des données ou « datamining » utilisé pour les besoins du contrôle fiscal

Depuis 2014, la France à l’instar de ses voisins européens (Belgique et Italie par exemple), dispose d’une cellule de datamining dédiée au « ciblage de la fraude et valorisation des requêtes (2) » dans le but avoué de gagner en efficacité dans le repérage et la détection des comportements frauduleux. En pratique, les travaux de cette cellule ont essentiellement porté sur la détection de la fraude en matière de TVA.

Le « datamining » et par voie de conséquence la maîtrise des données des entreprises deviennent la clé d’une gestion efficace et maîtrisée de la fiscalité indirecte (TVA/Douanes), entre autres.

Le rapport d’activité de la DGFiP pour l’année 2024 rappelle que la détection des fraudes par IA est actuellement à l’origine d’environ 50 % des contrôles fiscaux. Sur ce point, le manque à gagner en matière de TVA est également estimé entre 4 % et 7 % du montant global de TVA effectivement collectée, soit un montant compris entre 6 et 10 milliards d’euros. Ces écarts seraient liés à la dissimulation volontaire et l’omission d’opérations qui auraient dû être assujetties à la TVA, notamment dans les secteurs de l’hébergement-restauration ainsi que les activités immobilières qui afficheraient les taux d’irrégularités observés les plus élevés.

Aussi, avec l’entrée en vigueur du dispositif de facturation électronique en France (3), la DGFiP ambitionne un gain de 3 milliards d’euros.

Enfin, si la digitalisation croissante des contrôles est inéluctable, il est également rappelé qu’en matière de TVA, l’IA et plus largement le datamining n’est pas autonome et nécessitera toujours une appréciation de la situation par un Agent des Finances Publiques (4).

La gestion de la donnée : le nouvel enjeu pour la TVA

Actuellement, la TVA est principalement gérée par les entreprises dans le cadre de ses activités TVA en amont des contrôles fiscaux. L’administration fiscale réalise ainsi ses investigations a posteriori (système dit « post-audit »), c’est-à-dire une fois que les transactions sont effectuées et par définition comptabilisées.

Les investigations en matière de TVA sont limitées lors de l’analyse du FEC, par le vérificateur, ce dernier ne comportant pas toutes les données nécessaires à la qualification du traitement TVA de l’opération. Par exemple, Le FEC ne comporte pas d’indication fonctionnelle ou métier des transactions comme le lieu de livraison des marchandises permettant de s’assurer du caractère domestique ou international de l’opération. Les contrôles sont le plus souvent limités à des tests comptables ou de cohérence tels que le calcul des taux de TVA dans les écritures comptables.

Une investigation plus poussée implique une procédure informatisée (CFCI) et le possible déclenchement de « traitements informatiques ». Le CFCI permet au vérificateur d’obtenir des données détaillées issues des différents systèmes d’informations de l’entreprise (gestion commerciale, outil de gestion des stocks, etc.) mais reste limitées aux opérations visées par la demande de traitement.

Cette approche ciblée s’explique notamment par le fait que chaque société dispose d’un environnement informatique différent, souvent complexe et que les demandes de traitements sont généralement difficiles à réaliser. Avec un nombre limité de brigades informatiques par ailleurs, l’administration fiscale est donc souvent dans l’impossibilité de généraliser ses contrôles sur l’ensemble des données de la société contrôlée.

L’entrée en vigueur des obligations de facturation électronique en France changera nettement la donne en obligeant les assujettis à mettre à disposition de l’administration en temps quasi réel leurs données de facturation et autres données transactionnelles ou non (ex : données de paiement) et révélant ainsi indirectement leurs règles de gestion de la TVA. Cette réforme impactera directement les règles futures du contrôle fiscal qui vont évoluer.

L’identification des irrégularités TVA échappera difficilement à la vigilance de l’administration fiscale. Les entreprises doivent s’assurer que les données de facturation seront correctes et cohérentes entre elles.

Par ailleurs, l’administration fiscale va profiter de cette réforme pour faciliter son contrôle de la déduction de la TVA sur encaissement en matière de prestations de services. Actuellement le vérificateur est dépendant de l’information communiquée par l’entreprise, qui doit lister ses fournisseurs déclarant la TVA sur les encaissements, démontrer la date de règlement de la facture et la cohérence avec la date de déduction dans la déclaration de TVA. Dans quelques mois, l’administration fiscale pourra s’appuyer sur les données de paiement transmises par le fournisseur et les recouper avec les informations transmises par la société cliente.

D’un point de vue déclaratif TVA, l’administration fiscale entend également mettre en place le pré-remplissage automatique des déclarations de TVA. Une transmission au fil de l’eau d’une « donnée » fiscale/TVA et transactionnelle fiable et contrôlée est au cœur du dispositif de la réforme et constitue un enjeu prioritaire à l’avenir pour les entreprises afin de limiter les anomalies et les risques.

Il convient également de relever que l’administration fiscale s’appuiera, outre sur sa plateforme publique (PPF ou Concentrateur de données), sur des partenaires de confiance (plateformes agréées – PA), afin de s’assurer de la complétude et la cohérence des données de facturation. Un cahier des charges de contrôles de cohérence devra être suivi par les PA, ce qui permettra d’augmenter significativement l’exhaustivité et la qualité des données transmises à l’administration fiscale.

A l’appui de l’ensemble des données mises à sa disposition, l’administration fiscale pourra construire des modèles et outils de contrôles performants autour du datamining et de l’IA. Ces nouveaux outils permettront de réaliser des tests afin d’identifier plus facilement des irrégularités TVA.

C’est dans ce contexte de digitalisation et de changement structurel du contrôle à venir que les entreprises doivent s’organiser dès maintenant pour sécuriser la gestion de leur TVA.

En pratique, outre la mise en œuvre d’un modèle performant de veille réglementaire/TVA continue et de formation des équipes fiscales au numérique, le recours à des outils internes ou externes de « Data / VAT analytics », permettant aux référents fiscaux de décrire sous différentes rubriques la position TVA globale de leurs sociétés devraient être une priorité.

En effet, la connaissance d’éléments statistiques sur le profil et la nature des activités réalisées par une société [ex : livraisons de biens vs. prestations de services à l’achat et à la vente, les typologies des clients (B2B, B2C, B2G), les montants des opérations et leurs empreintes géographiques (France, UE, hors UE, DOM, etc.)], en passant par la mise en œuvre de contrôles de conformité, de cohérence voire de réconciliation sur les traitements TVA des opérations réalisées (même client avec des régimes TVA différents, vente France-France sans TVA, vente export et livraison intra-communautaire avec TVA, chaînes de transactions et autres régimes de simplification des triangulaires, taux de TVA incohérent, cohérence entre les codes VATEX et les codes TVA, contrôles des mentions d’exonération, validité du numéro de TVA, etc.) seront autant d’informations nécessaires pour les entreprises pour anticiper au mieux les contrôles fiscaux digitalisés à venir.

La nécessaire transformation et réinvention des Directions Fiscales et Financières face à la digitalisation de la TVA

Dans un environnement fiscal de plus en plus complexe, entre réforme de la facturation électronique, mais plus largement Pilier 2 ou les dispositifs ATAD, les Directions Fiscales sont en constante vigilance et l’expertise technique n’est plus la seule clé pour anticiper correctement ces obligations.

Face à la modernisation des outils de l’administration fiscale, l’intégration de l’IA dans les affaires et l’accroissement des données communiquées à l’administration fiscale, les Directions Fiscales et Financière des entreprises doivent dès maintenant faire évoluer leur modèle de gouvernance fiscale et TVA, qu’il soit centralisé, décentralisé, matriciel ou externalisé. Elles doivent se transformer et se réinventer. Il convient de redéfinir la fonction fiscale, la valoriser.

Malgré l’observation d’une grande hétérogénéité de la maturité des pratiques organisationnelles selon les secteurs, la taille ou encore la culture fiscale des entreprises, la transformation et la réinvention des Directions Fiscales est la clé, en particulier en optimisant le mix humain/machine, en anticipant les tendances du « business » en lien avec la finance et les métiers, et en clarifiant son rôle pour valoriser et renforcer sa position stratégique au sein de l’entreprise.

Longtemps perçue comme un frein à la transformation numérique, la fiscalité doit désormais devenir un moteur d’innovation. Combler ce fossé est une priorité stratégique. Porté par une croissance accélérée, le marché des technologies fiscales / TVA déploie des solutions de pointe allant des moteurs de calcul de taxes / TVA (Tax  Engine) aux outils d’analytique avancée. L’IA – et plus encore la GenAI – s’impose également comme le catalyseur de cette révolution, redéfinissant les processus et les rôles au sein des départements fiscaux. De simples exécutants, les équipes se transforment en acteurs stratégiques, créateurs de valeur et garants de la performance.

C’est dans ce contexte que, depuis quelques années, de nouveaux métiers émergent au sein des entreprises tels que des leaders en « Tax Techno », « Tax Transfo » ou encore « Tax Data ». Ces profils hybrides disposant de compétences à la fois fiscales, opérationnelles, stratégiques et numériques (informatiques/analytique/IA), favorisent l’innovation et la modernisation. Ils permettent aux entreprises de mieux s’adapter aux environnements IT internes de plus en plus complexes, de se connecter davantage aux autres métiers ou encore de définir au mieux la stratégie et l’efficacité des modèles de données fiscales/TVA.

Plus encore, en termes d’organisation et d’architecture, des projets de « Datalake Tax » et autres « Tax middlewares » ou « Tax/VAT agents » voient également le jour au sein des organisations afin de collecter l’ensemble des données fiscales et métier dans le but d’être soumis à différents contrôles et de mieux piloter la donnée et également de piloter au mieux ses enjeux notamment en matière de TVA.

L’ensemble de ces évolutions positionnent la fiscalité et la TVA comme des acteurs stratégiques, capables de contribuer à la transformation globale de l’entreprise.

La digitalisation croissante du contrôle fiscal/TVA portée par les réformes actuelles liées à la facturation électronique ainsi que le contrôle à venir de l’ensemble des données de facturation et transactionnelles confirment la nécessité urgente pour les Directions Fiscales de se transformer et de se réinventer. Une gestion sécurisée de la TVA, objectif de contrôle prioritaire des administrations fiscales, doit inciter les organisations à se doter de modèles de gouvernance plus efficients, de nouveaux profils hybrides de « fiscalistes augmentés » alliant expertise fiscale/TVA et numérique ou encore d’explorer des solutions technologiques permettant la maîtrise de la donnée et qui seront des atouts face aux nouveaux défis annoncés. 

1. Directive 2025/516 du 11 mars 2025 modifiant la directive 2006/112/CE en ce qui concerne les règles en matière de TVA adaptées à l’ère numérique – Pilier 1 de la Directive VIDA « VAT in the Digital Age ».

2. Arrêtés des 21 février 2014 (JO n° 25) et 16 juillet 2015 portant création par la direction générale des finances publiques d’un traitement automatisé de lutte contre la fraude dénommé « ciblage de la fraude et valorisation des requêtes » (JO n° 55)

3. Page 48, rapport DGFiP 2024

4. Page 15, rapport DGFiP 2024


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E-Invoicing : Comment la donnée redéfinit la conformité et la performance

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