La fonction fiscale traverse une phase de transformation profonde, à la confluence de pressions réglementaires, conjoncturelles et technologiques. Si la Direction Fiscale a toujours navigué dans un environnement changeant, c’est le rythme des transformations qui s’accélère, imposant aux Directions Fiscales une agilité inédite, demande de transparence accrue, nouvelles contraintes réglementaires, mise à disposition de données en temps réels, ...
Parallèlement, l’écosystème technologique fait face à un changement de paradigme ; le rythme de développement de l’Intelligence Artificielle et des capacités d’analyse de données des deux dernières années donne accès à de nouvelles capacités et fait apparaitre de nouveaux risques à maitriser. Explosion du volume de données, nouvelles capacités d’automatisation intelligente, algorithmes d’analyses avancées et modélisation de scenarii reconfigurent le rôle de la Direction Fiscale.
Dans ce contexte, la Direction Fiscale a une nouvelle opportunité pour redéfinir son rôle et se positionner au cœur de la stratégie de l’organisation. Face à ces nouveaux enjeux, comment continuer à assurer la conformité, piloter la donnée, éclairer la prise de décision stratégique et contribuer à la performance durable de l’entreprise.
Sécuriser le ROI de la technologie et mettre en valeur l’expertise fiscale
Si les usages individuels de l’Intelligence Artificielle et de l’Intelligence Artificielle Générative ont déjà permis des gains de temps localisés, leur impact reste aujourd’hui limité. Pour assurer un véritable retour sur investissement, il devient impératif de passer à l’échelle en intégrant les capacités offertes par ces solutions aux processus fiscaux de l’entreprise. Cela passe nécessairement en partie par des travaux d’harmonisation des pratiques, de mise à plat et de modernisation des processus, des nouvelles règles d’encadrement des technologies, et une montée en maturité de l’ensemble de l’effectif.
L’adoption de ces nouvelles solutions se structure par voies parallèles qui se nourrissent et se renforcent mutuellement. Déjà présents depuis quelques années, les usages individuels de chatbots, largement mis à disposition au travers de licences généralistes ou spécialisées, améliorent la productivité des individus et permettent - sous certaines conditions - d’également améliorer la qualité du travail réalisé. Ils aident tout à la fois sur des synthèses, des éléments de rédactions, la priorisation de tâches ou des recherches. Ces usages primaires servent d’introduction au sujet et permettent de sensibiliser et d’acculturer les équipes aux nouvelles possibilités, mais aussi aux limites des outils parfois présentés à tort comme « miraculeux » ou « magiques ».
Cependant, prises individuellement, ces nouvelles possibilités, utiles pour fluidifier le quotidien et faire grandir les connaissances technologiques des équipes, ne permettent pas de dégager un retour sur investissement notable. Il devient indispensable de se projeter vers une phase de mise à l’échelle encadrée. La collectivisation de ces gains peut passer par différents biais : intégration de workflows experts, déploiement d’agents IA, et maintenant mise en place de réseaux d’agents interconnectés.
Pour construire les nouveaux processus pertinents pour la Direction Fiscale, il est important d’intégrer une réflexion au-delà des outils et de prendre du recul pour intégrer des éléments autour de l’harmonisation et de la standardisation de certaines tâches récurrentes à faible valeur ajoutée. Le champ des possibles est large et peut intégrer des aspects de productivité, de contrôle qualité, de partage de bonnes pratiques.
Ces nouveaux types de projets amènent à s’interroger sur un ensemble de nouvelles compétences, parfois éloignées des compétences traditionnelles des fiscalistes. Pour autant, il est indispensable de structurer ces réflexions : quelles sont les données utiles, ont-elles le bon format, la bonne qualité, sont-elles disponibles pour les équipes qui en ont besoin, faut-il les reformater,… A l’aune de ces questions, il devient essentiel de repenser un nouvel espace dans lequel les données et ressources nécessaires sont peut-être pour le moment inaccessibles, inconnues, trop brutes, ou détenues par d’autres stakeholders de l’organisation.
Intégrer ces nouvelles dynamiques permet de sortir de la gadgetisation de l’utilisation des chatbots IA, et de basculer de l’expérimentation individuelle vers la construction de chaînes de valeurs optimisées. Ces nouvelles possibilités ancrent la fonction fiscale dans un cadre décisionnel piloté par l’expertise et la donnée.
Dans un contexte changeant et hautement imprévisible, garder la maitrise des enjeux
Ces nouvelles activités induisent de nouvelles dépendances, et ouvrent des liens vers de nouvelles parties prenantes qui détiennent les accès ou les compétences liées aux données. Les équipes fiscales doivent pouvoir combiner une expertise technique solide, indispensable, à des compétences nouvelles, plus transverses. Cela pourrait passer par une montée en compétences des équipes fiscales d’aujourd’hui, ou par l’intégration de nouveaux profils dans de nouveaux rôles : tax technologists capables de configurer et comprendre des moteurs de règles, analystes de données maîtrisant la qualité des référentiels, experts en data visualisation pour faire vivre les données disponibles, architectes processus qui font la passerelle entre processus métiers et traduction techniques… De façon plus large, la coordination de ces nouvelles activités et de ces profils impliquera de nouvelles capacités à intégrer de nouvelles compétences capables d’assurer la conduite du changement. Les organisations privilégieront des équipes agiles et pluridisciplinaires, capables de montée en compétence continue et d’interactions avec des fonctions proches ou moins proches de leurs activités actuelles : Finance, IT, Opérations, …
La valeur de la Direction Fiscale ne réside plus seulement dans son rôle traditionnel, dans la compréhension des enjeux fiscaux, mais aussi dans la capacité à fiabiliser les référentiels, à automatiser les contrôles, à simuler les scénarios et à rapprocher la donnée fiscale de la donnée financière et extra-financière, avec des modèles maitrisés par l’expertise. Il serait une erreur de ne voir ce changement que sous un angle technologique, c’est un enjeu de gouvernance de la donnée, de modèles opératoires, d’architecture cible et de compétences qui continue à faire le cœur de l’expertise de la Direction Fiscale.
La proximité avec la Finance, l’IT et les opérations permet une transformation structurelle des rapports entre fonction fiscale qui s’intègre dans les chaînes de valeur, depuis la configuration des systèmes jusqu’aux reportings consolidés. Cette intégration suppose des responsabilités claires, des standards de qualité et des indicateurs de performance qui mesurent non seulement la conformité, mais aussi la contribution à la création de valeur et à la réduction des risques.
Une feuille de route augmentée : anticiper plutôt que réagir
Dans cette transformation multi-enjeux, pour orchestrer cette transformation, la feuille de route du directeur fiscal doit prendre en compte quatre enjeux principaux.
Pour maintenir une intelligibilité et un contrôle pertinent des données, il est nécessaire d’affirmer une gouvernance conjointe de la donnée et de l’expertise fiscale : définir les standards de qualité, instaurer des rôles clairs d’accès aux données et des modèles, cartographier les flux sources pour les activités centrales et les usages prioritaires, et sécuriser une architecture de référence interopérable avec d’autres fonctions.
Afin de récolter les fruits d’une intégration de nouveaux outils et de nouvelles façons de travailler, faire levier sur un socle d’exécution commun pour incarner une vision transformée est nécessaire. Cela peut passer par l’automatisation de processus récurrents à forte volumétrie, standardiser des contrôles en amont, documenter et fiabiliser une politique groupe incarnée dans des règles intégrée à des moteurs paramétrables, … Se mettre en capacité de construire des leviers qui soient pertinents pour la Direction Fiscale et sa vision long terme.
La maitrise de ces enjeux implique d’investir dans les compétences et la culture IA et Data de ses équipes. Cela passe par le maintien de compétence techniques, d’intégration d’une culture de la collaboration : former aux outils data et à l’analytique, aux fondamentaux de l’IA et en intégrant les enjeux et risques, les limites des modèles et de compétences des machines, développer les aptitudes de storytelling et de pédagogie, et instaurer une gestion des talents permettant l’éclosion de parcours mixtes fiscal/data/IA/process.
Toutes ces actions permettront de positionner la fonction comme partenaire stratégique. L’objectif ne doit pas être de réagir à un paysage technologique qui évolue, mais bien de profiter des évolutions induites par l’IA pour déclencher la construction d’une vision transformée et pragmatique des changements qui la traversent, pour se donner une force d’anticipation des risques et des enjeux. Les irections Fiscales qui structurent ainsi leur démarche feront de la donnée et de l’IA un levier de fiabilité, de productivité et de transparence, au service d’une performance véritablement durable.