La lettre gestion des groupes internationaux

E-Invoicing : Comment la donnée redéfinit la conformité et la performance

Publié le 18 décembre 2025 à 16h20

 Temps de lecture 12 minutes

Par Lisa Fécard, avocate, associée, Tax Technology, PwC Société d’Avocats, Laurent Poigt, avocat associé, Tax Technology, PwC Société d’Avocats, Anthony Andary, PwC Société d’Avocats et Ghali Benmoussa, PwC Société d’Avocats

S’inscrivant dans un mouvement de généralisation de la facturation électronique à l’échelle mondiale et européenne et portée par la Directive VIDA, l’administration fiscale française s’apprête le 1er septembre 2026 à lancer sa réforme en matière de facturation électronique (réforme EIR « Electronic Invoicing & Reporting).

A moins de 10 mois de son entrée en vigueur, des millions d’entreprises françaises passeront un cap dans la digitalisation de leurs processus de facturation en termes d’achats, ventes et TVA.

Afin d’anticiper au mieux les enjeux et les impacts d’une telle réforme, de nombreuses entreprises se sont donc organisées pour mettre en place des projets de mise en conformité et de transformation : cadrage et diagnostic, processus et choix des plateformes agréées (PA), mise en œuvre (design, build, tests et recettage, etc.), conduite du changement.

Sur ce point, une thématique clé apparaît comme essentielle et centrale à tout projet : la donnée.

La donnée doit être au cœur de chaque projet pour la simple et bonne raison que ces données de facturation, transactionnelles et référentielles seront demain communiquées à l’administration fiscale et ce, quasiment en temps réel. Dès lors, il est fondamental que les entreprises soient en capacité non seulement de transmettre l’ensemble des données attendues mais aussi et surtout, certaines de transmettre des données qualitatives.

Cet accès à la donnée des entreprises françaises par l’administration, qui participera à la complétude automatisée des états déclaratifs de chiffre d’affaires (déclarations CA3), a vocation à faire évoluer le contrôle fiscal informatisé de demain vers une vérification à distance sur la base des données transmises en temps réel à l’administration.

1. Le nouveau standard français en matière d’échanges de factures issue de la norme européenne EN16931

Un changement de paradigme complet est attendu dans le cadre de la mise en place de la facturation électronique : le passage à un format 100 % structuré, porté par la normalisation européenne en matière de facture électronique. 

Le format et modèle de données des factures échangées au travers des plateformes agréées (« PA ») s’appuieront sur un socle minimum de formats reposant sur des standards sémantiques et syntaxiques respectant la norme EN16931 pour faciliter les échanges :

– Universal Business Language (XML UBL version 2.1),

– Cross Industry Invoice (XML UN/CEFACT CII),

– Facture-X (PDF/A-3 / UN/CEFACT CII)1

Il est par ailleurs possible de continuer d’échanger des flux de factures, aux formats syntaxiques non prévus dans le socle, ceux-ci pourront être acceptés par les plateformes partenaires d’émission ou de réception, en entrée et en sortie, selon le contrat de services de ces plateformes.

Ces évolutions normalisent les formats et les profils de facturation, garantissant l’interopérabilité des échanges et le respect des obligations légales (mentions obligatoires, statuts de cycle de vie, identification des parties, etc.).

a. Quelles sont les spécificités de la norme EN16931 qui va conditionner le modèle des données de facturation de demain ?

En octobre 2025, le CEN (« Comité Européen de Normalisation ») a publié une nouvelle version du standard EN16931 qui marque une étape majeure dans l’harmonisation européenne de la facture électronique. Cette évolution vise à renforcer l’automatisation des processus et la qualité des données échangées, tout en préparant l’intégration de ces standards dans les futures exigences de données DRR (« Digital Reporting Requirement ») au niveau européen.

La norme EN16931 se compose de :

l Un ensemble de données métiers (164 au total), permettant de codifier chaque donnée (obligatoire, conditionnelle ou optionnelle) telle que par exemple le numéro de facture, le montant, le prix unitaire, quantité,…).

Chaque donnée est associée à une cardinalité, définissant si elle est obligatoire ou facultative et si elle peut apparaître plusieurs fois dans le message facture.

Afin d’éviter les rejets ou refus de factures par les PA et les avoirs internes qui pourraient en découler, les entreprises doivent impérativement se conformer à ce modèle de données et s’assurer de disposer de l’ensemble des données obligatoires dans leurs systèmes de gestion. Ces travaux d’enrichissements de données prennent du temps puisqu’ils peuvent dans certains cas aboutir à la refonte complète du modèle de données dans les systèmes avec des limitations techniques possibles. Dès lors, il est primordial d’engager et prioriser ces travaux au plus tôt dans la roadmap de déploiement de la solution de facturation électronique.

l Un ensemble de règles de gestion, comprenant :

– 96 règles liées à la TVA ;

– 126 règles liées à la présence ou au calcul de certaines données.

Ces règles de gestion sont également structurantes puisqu’elles conditionnent pour certaines d’entre elles la conformité fiscale du message facture : ainsi, en est-il de la règle de gestion encadrant la séquentialité du numéro de facture ou du régime de la TVA sur les débits.

Des listes de codes normalisés pour certaines données, héritées des pratiques EDI déployées depuis plus de 30 ans.

Exemples :

– Type de facture : 380 = Facture commerciale, 381 = Avoir, 384 = Facture rectificative.

Là encore, cette normalisation impose des mesures d’anticipation majeures en termes de gestion ou d’évolution des processus métiers et/ou comptables et notamment un travail de qualification des flux (avoirs, acomptes, pré-paiement, escomptes, remises globales,…) et de mapping vers les bons types de documents.

b. Limites et extensions de la norme EN16931

La norme EN16931 n’a pas été conçue pour couvrir tous les besoins des entreprises, mais la majorité d’entre eux.

Elle repose sur l’hypothèse qu’une facture correspond à une seule commande et une seule livraison.

En effet, l’étude des spécificités en matière de facturation ou cas d’usage sectoriels montre que la norme EN16931 ne couvre pas l’ensemble des informations présentes dans les factures, ce qui s’explique par le fait qu’elle a été conçue pour répondre aux besoins essentiels.

Il est donc apparu nécessaire de définir un profil étendu, appelé EXTENDED-CTC-FR.

En effet, le profil EXTENDED-CTC-FR reste indispensable pour traiter les situations complexes, notamment celles impliquant des tiers ou des besoins métiers particuliers, en ajoutant des données de facturation et en adaptant certaines règles de gestion. Cette structure permet non seulement de répondre aux exigences de la réforme française mais aussi d’anticiper les évolutions européennes, tout en assurant la compatibilité ascendante et la sécurité des flux de données.

En résumé, l’alignement des normes européennes et françaises, la définition de profils (EN16931 et EXTENDED-CTC-FR) et l’intégration de standards comme Facture-X, UBL et UN/CEFACT CII, constituent le socle de la conformité fiscale, en garantissant la fiabilité, la traçabilité et la sécurité des informations échangées. Ces dispositifs permettent d’éviter les erreurs de routage, les rejets techniques et de renforcer la lutte contre la fraude tout en facilitant le contrôle interne des entreprises.

2. Les données référentielles versus transactionnelles : enjeu stratégique de la conformité fiscale

La construction d’une facture électronique s’appuie sur une articulation rigoureuse entre données référentielles et données transactionnelles, chacune jouant un rôle complémentaire et stratégique dans le processus.

Les données référentielles, ou “Master Data”, constituent la base stable sur laquelle s’appuie l’ensemble du système d’information : il s’agit notamment des informations relatives aux clients, fournisseurs, articles,…. Leur fiabilité est essentielle car elles permettent d’identifier précisément les parties prenantes (acheteur, vendeur) et d’assurer l’acheminement correct de la facture vers la plateforme adéquate, grâce aux adresses électroniques de réception composées d’éléments des référentiels (exemple : SIREN – SIRET). De plus, ces données garantissent la conformité fiscale, en fournissant les informations minimales requises des entités impliquées (numéro de TVA, adresse,....). La maîtrise et la qualité de ces données sont donc déterminantes pour éviter les erreurs de routage et les rejets techniques.

En complément, les données transactionnelles, issues des opérations quotidiennes (commandes, factures, paiements, livraisons), sont dynamiques et rattachées à des événements spécifiques. Elles assurent la présence des mentions obligatoires, conditionnelles et métiers sur la facture. Or, les standards sémantiques publiés par la DGFIP ou l’AFNOR (spécifications externes, norme sur les profils et format XP Z12-012), bien qu’essentiels, ne couvrent pas toujours l’intégralité des exigences légales. Il est donc nécessaire de croiser ces formats avec les textes réglementaires pour garantir la conformité des flux (factures électroniques, e-Reporting, statuts) et éviter tout rejet lors du traitement.

Au-delà de la conformité, la correcte identification et intégration des données transactionnelles permet aussi de répondre aux besoins spécifiques de chaque entreprise : cartographier les cas d’usage, modéliser les données pertinentes pour chacun d’eux et s’assurer de leur intégration dans les formats structurés sont des étapes clés. Enfin, certaines informations non obligatoires mais attendues par les clients (données métiers spécifiques), telles qu’une imputation analytique ou un numéro de sinistre, doivent également être anticipées et intégrées pour faciliter l’automatisation et l’intégration des factures en comptabilité.

Pour conclure, distinguer et articuler avec précision données référentielles et transactionnelles est le fondement d’une facture électronique conforme, fiable et adaptée aux exigences métiers et réglementaires.

3. Un déploiement réussi autour de la donnée : pièges à éviter et bonnes pratiques

Comme commenté ci-avant, la gestion des données s’avère stratégique pour garantir la conformité et l’efficacité des flux.

Toutefois, chaque entreprise doit être vigilante sur un certain nombre d’écueils à éviter. Des bonnes pratiques permettront également de sécuriser le projet de déploiement dans les temps.

a. Principaux écueils à éviter :

l Sous-estimer le projet : Reléguer la gestion de la donnée et l’évolution des systèmes au second plan, derrière d’autres priorités, fragilise la réussite globale. Ce manque d’anticipation conduit souvent à des retards et à une conformité partielle.

l Anticipation tardive des évolutions techniques : Reporter la prise en compte des adaptations nécessaires des systèmes sources (ERP, outils métiers) peut entraîner des blocages lors du déploiement et compromettre la qualité des données transmises.

l Vision limitée au seul e-Invoicing : Se concentrer uniquement sur la dématérialisation des factures sans intégrer les autres obligations, comme le e-Reporting (ventes, achats) et la gestion du cycle de vie des factures, expose à des risques majeurs de non-conformité.

b. Bonnes pratiques pour sécuriser la qualité et la conformité des données

l Mettre en place une équipe pluridisciplinaire : associer étroitement les équipes opérationnelles et IT pour croiser expertise métier et maîtrise technique. Cette complémentarité est indispensable pour couvrir l’ensemble des besoins et garantir la pertinence des solutions mises en œuvre.

l Maintenir une veille réglementaire active : suivre en continu les évolutions des normes autour des profils et des formats (AFNOR, CEN) et des exigences légales pour anticiper les adaptations nécessaires et rester en conformité.

l Préparer le mapping des données : cartographier précisément les flux / cas d’usage et définir la modélisation des données attendues.

l S’assurer de la disponibilité des données requises dans chacun des systèmes impliqués dans le processus de construction de la facture.

l Tester la qualité des données et les règles de gestion associées (syntaxiques et/ou TVA) : mettre en place des contrôles fréquents et planifier les évolutions des outils pour éviter les incidents lors de la transmission des factures électroniques.

l Accompagner la conduite du changement : sensibiliser et former les Directions Fiscales et les équipes concernées permet d’intégrer durablement les nouvelles pratiques et d’anticiper les attentes liées à l’exploitation des données transmises.

c. Transformer la contrainte en opportunité

La structuration et la maîtrise de la donnée doivent être perçues comme un levier d’optimisation : amélioration de la qualité de l’information, rationalisation des processus internes et anticipation des contrôles fiscaux. Pour réussir, il est essentiel d’impliquer fortement les Directions, d’aligner les équipes et d’adopter une démarche proactive, notamment en vue des futures obligations européennes telles que VIDA.

En conclusion :

L’évolution des normes européennes autour de la facture électronique, portée par le standard EN16931 et ses extensions, impose une transformation profonde des pratiques et des systèmes d’information des entreprises.

L’articulation rigoureuse entre données référentielles et transactionnelles, la maîtrise des règles de gestion et l’anticipation des évolutions réglementaires deviennent des facteurs clés de succès pour garantir la conformité, la qualité et la sécurité des échanges.

La réussite d’un projet de facturation électronique ne repose pas uniquement sur la technique, mais sur une approche globale, mobilisant toutes les parties prenantes, et une gouvernance adaptée. Finalement, transformer ces contraintes réglementaires en véritables opportunités permettra aux entreprises d’optimiser leurs processus, de renforcer la fiabilité de leurs flux et de se positionner avantageusement face aux futures exigences européennes. 


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