Intégrer la fiscalité au même rang que la finance dans les migrations d’ERP est une condition clé du succès des enjeux de transformation. L’enseignement central est clair : un ERP conçu et opéré dans une dimension fiscale dès la naissance du projet, réduit les risques, abaisse les coûts de mise en conformité et accélère la création de valeur. Cela est rendu possible en automatisant les processus, en fiabilisant les données et en préparant l’entreprise aux obligations de reporting en temps réel et au contrôle fiscal dématérialisé ou aux contrôles des données transmises au fil de l’eau aux autorités fiscales. Nos expériences récentes en lien avec les exigences réglementaires en vigueur ou en train d’être adoptées, notamment le contrôle fiscal informatisé généralisé autour de la donnée et l’essor de la facturation électronique, montrent que la fiscalité doit impérativement être mise au cœur des projets de transformation.
1. Du « chantier de conformité » au levier de valeur : ce que change l’intégration du sujet fiscal dans les chantiers de transformation finance
Un business case tangible pour la finance et la fiscalité
Placer la fiscalité en amont des trajectoires ERP transforme la perception d’un centre de coûts en une opportunité génératrice de valeur. Un modèle de données à dimension « fiscale » réduit les tâches à faible valeur (ressaisies, calculs manuels, fichier Excel, mise à jour fastidieuse des reportings fiscaux au fil de l’eau des opérations de la clôture comptable sur une base manuelle, etc.), limite les retraitements hors système, permet d’accroitre l’automatisation contrôlée et en définitive fiabilise la compliance fiscale. Cette fiabilité raccourcit les délais de clôture, sécurise les contrôles, et diminue le temps passé notamment sur la revue de la compliance et des reportings fiscaux. La fonction fiscale souvent dépendante des Directions Finance y gagne en transparence et en traçabilité. Bénéficier d’une source unique de données fiables, accroit fortement l’efficacité au travers de la standardisation et de l’automatisation.
Une vision en temps réel des statuts déclaratifs et des risques favorise une gestion proactive, par exemple pour optimiser la récupération de la TVA ou l’anticipation des impacts des réorganisations juridiques. Dans les groupes internationaux, la définition d’un core model au sein de l’ERP commun à l’ensemble des entités du groupe, harmonisé et documenté, fluidifie les interactions et permet de mettre en œuvre une force collective collaborative au sein des groupes entre les différents territoires, mais également avec les partenaires locaux. Cela permet également de nourrir les analyses d’optimisation et de reporting, permet la mise en œuvre de solution de simplification et d’efficacité. Cette posture dépasse la conformité : elle relève du pilotage de la performance de la fonction.
Un Tax ERP robuste touche la TVA et les autres taxes indirectes, mais aussi la comptabilité statutaire, la détermination de l’impôt courant, le tax accounting, les prix de transfert et la réponse aux obligations en matière de contrôle fiscal traditionnel ou dématérialisé. C’est précisément cette transversalité qui justifie une gouvernance dédiée et une présence fiscale continue du blueprint au déploiement.
Chaque groupe doit pouvoir définir les priorités portées au sein de l’ERP en cohérence avec la politique fiscale et les zones de criticité fiscale en France et à l’étranger.
Sortir des idées reçues des programmes ERP
Les grandes migrations ERP sont souvent conduites avec l’idée que le « standard » couvrira nécessairement les sujets fiscaux. La fiscalité au sein de l’ERP ne se résume pas au paramétrage des codes TVA. Cette hypothèse conduit à traiter la taxe comme un sous-sujet de la finance. L’expérience démontre au contraire que les besoins fiscaux sont spécifiques, qu’ils exigent une réflexion et une modélisation dédiée, et qu’ils ne peuvent être intégralement délégués à l’intégrateur système et aux équipes IT et finances sans une expression de besoins préalable clairement exprimée aux différentes parties prenantes du programme. Cette expression de besoin doit être portée par l’équipe fiscale. Aborder le sujet fiscal dès la phase de cadrage, formaliser les besoins sous forme d’exigences traçables, et intégrer la fiscalité dans les ateliers de design et de tests, évite les reworks coûteux et les contournements post go-live souvent difficiles, voire impossibles à mettre en place.
2. Les fondations d’un Tax ERP
Un modèle de données à dimension fiscale et des référentiels gouvernés
La colonne vertébrale d’un Tax ERP est un modèle de données enrichi pour la fiscalité. Il s’agit d’identifier et de structurer les éléments maîtres, comme les codes TVA, les tax codes, les classifications produits, et les attributs requis pour les obligations d’e-reporting.
Dans SAP S/4HANA, cette structuration se traduit par une revue du plan de comptes afin d’intégrer les comptes nécessaires, par une rationalisation des codes de TVA, et par une gouvernance de bout en bout pour prévenir les usages non conformes et verrouiller les combinaisons interdites. Tout ce travail d’amont permet d’alléger les obligations de contrôle et de testing des données transactionnelles.
Cette rigueur de modélisation se double d’un alignement avec les schémas comptables et les process sous-jacents. Restreindre les associations entre comptes comptables et codes de taxe, clarifier les types d’écritures et sécuriser les règles d’imputation diminuent fortement les anomalies en aval. L’objectif est de lier proprement les données, schémas et contrôles pour que les rapports soient générés par l’ERP, plutôt que par un empilement de fichiers temporaires.
La montée en exigence des administrations sur la granularité et la fraîcheur des données impose une vigilance accrue sur la qualité en entrée. La mise en place de tableaux de bord analytiques, d’indicateurs de performance et de mécanismes de surveillance continue des anomalies sert de filet de sécurité. Ces capacités aident à détecter précocement les dérives, à prioriser les corrections et à nourrir les arbitrages entre standardisation globale et spécificités locales.
Un Tax Ledger pour adresser les sujets d’automatisation de la tax determination et du tax accounting
La capacité à suivre et expliquer le passage des comptes de gestion aux comptes statutaires, puis à la base imposable, est un marqueur de maturité du système ERP. La mise en place d’un Tax Ledger, combinant le cas échéant des extensions ledgers, fournit une vue en temps réel des différences temporaires et permanentes, des impôts courants et différés et des réconciliations par nature. Cela permet de mécaniser la tax determination dans une optique d’optimisation du temps des équipes dans les périodes de clôture pour qu’elles puissent se concentrer sur les opérations de revue des sujets complexes ou à risque. Documenter les types de retraitements, les règles d’écriture et leur articulation à la maille transactionnelle permet de systématiser la preuve fiscale et de mécaniser la production dans les périodes de clôture mais également d’accroitre la fiabilité des clôtures intermédiaires.
Au-delà de la conformité, ce dispositif favorise une meilleure stabilité des chiffres d’un exercice à l’autre et réduit la dépendance aux exports massifs vers des outils hors ERP et permet de s’exonérer d’une gestion sous fichier Excel. La donnée reste maîtrisée et la charge de travail en clôture diminue sensiblement.
3. Conformité en temps réel : e-invoicing, e-reporting et le contrôle fiscal dématérialisé
Anticiper la généralisation de la facture électronique
La modernisation de la TVA accélère l’adoption des factures électroniques structurées et des transmissions numériques. La France est engagée dans un déploiement large de la facturation électronique et de l’e-reporting, avec un calendrier échelonné sur 2026 et 2027.
Un Tax ERP correctement paramétré doit prendre en compte les contraintes de transmission, de réception et d’archivage des factures électroniques selon des standards interopérables. Il doit également permettre de propulser les données requises vers les portails ou réseaux habilités. L’expérience des projets montre qu’une intégration native avec l’ERP, plutôt qu’un contournement tardif, réduit les frictions et prépare les évolutions ultérieures sans refonte.
Un facteur de complication à prendre en compte est l’adhérence entre les migrations ERP en cours et les projets de mise en œuvre de la facturation électronique. Dans certains cas le go live de la migration ERP est postérieur à la date d’entrée en vigueur de la réforme. Cela peut contraindre les Groupes à mener deux projets ou à mettre en place des mesures temporaires. Cette adhérence doit être anticipée le plus tôt possible pour permettre aux Groupes d’être en conformité pour la réforme dès le premier septembre 2026 (1er septembre 2027 pour la partie émission pour les plus petites entités), sans démultiplier les travaux.
FEC et e-audit : écrire l’histoire des données pour l’administration
La digitalisation des contrôles fiscaux exige une capacité à extraire des fichiers structurés, à reconstituer le fil des opérations et à réconcilier les différentes vues comptables, statutaires et fiscales. Cela doit être fait notamment pour les sujets sensibles ou à risque au plan fiscal. Un cadre d’audit intégré fixe les rôles, les référentiels documentaires, les stratégies d’extraction, les pistes d’audit et les rapprochements entre transactions sources, grand livre, déclarations et états financiers. Lorsque ces exigences sont prévues dès la conception de l’ERP, la réponse aux demandes d’informations ou de traitements informatiques, la tenue des délais et la robustesse des positions fiscales et des positions de défense dans le cadre des contrôles fiscaux s’améliorent, tandis que la perturbation des opérations se réduit.
Cette préparation est d’autant plus stratégique que de nouvelles obligations, comme l’e-reporting se greffent sur des jeux de données transverses. Un socle ERP permettant d’accéder à des données fiables, de qualité, documentées et auditables n’est pas seulement un atout de conformité ; il devient une plateforme de transparence et de gestion optimale des contrôles fiscaux.
L’intégration des processus d’impôt sur les sociétés dans l’ERP fait gagner en cadence et en fiabilité. Une vision unifiée des différences, des retraitements et des rapprochements facilite la production des rapports de réconciliation de taux, l’historisation des retraitements et la cohérence d’un exercice à l’autre. En limitant les exports et les consolidations manuelles, l’équipe fiscale consacre davantage de temps à l’analyse, aux contrôles et à la planification, tout en renforçant la traçabilité attendue par les auditeurs.
Cette automatisation suppose d’anticiper les champs requis, les workflows d’ajustements et les points d’intégration avec les solutions spécialisées de provision et de compliance. Là encore, la clé est de concevoir les exigences ou les besoins au stade du design et de supprimer la dépendance pour l’extraction des données critiques.
Méthode de mise en œuvre : cadrer tôt, tracer les exigences
La réussite d’un projet fiscal pour un Tax ERP se joue dès le kick-off du projet. Il faut définir la vision cible, designer une matrice de traçabilité des exigences fiscales et statutaires et les relier aux processus décrits dans les Business Process. Ce dispositif sécurise les arbitrages et garantit que les choix réalisés lors du design seront effectivement reflétés dans la configuration ou le paramétrage. La présence d’experts fiscaux dès les ateliers de conception nous apparait indispensable. Elle complète les compétences de l’intégrateur, qui ne couvre pas par défaut la profondeur des besoins fiscaux, en particulier sur les sujets complexes de TVA, d’impôt direct, de prix de transfert ou de douanes.
Cette phase de conception initiale doit se prolonger par une gouvernance tripartite conjointe Finance-Tax-IT, avec des instances adaptées au rythme du programme. Il s’agit moins d’ajouter des jalons que d’insuffler une culture des exigences ou des besoins fiscaux autour de la donnée fiscale bien conçue, bien contrôlée et bien exploitée.
Du « Prepare » au « Deploy », l’angle fiscal doit être explicite. La phase d’analyse préalable sert à préciser les besoins ainsi que les exigences réglementaires par pays, par métier et par flux, à inventorier les contraintes et à aligner les référentiels. La réalisation vise la configuration des tax codes, des schémas d’écriture, la mise en œuvre d’un Tax Ledger, avec des cycles de tests suffisamment riches pour éprouver les cas identifiés et les contrôles bloquants. Le déploiement ne clôt pas le sujet : il ouvre une phase ultérieure où la fiscalité doit continuer de piloter la stabilisation des rapports, la correction des écarts, l’ajustement des contrôles et l’adaptation aux nouveaux besoins ou évolutions réglementaires.
Les retours d’expérience de grands groupes montrent l’utilité d’un diagnostic au démarrage du programme, suivie d’ateliers par thème, et d’un « rapport d’étonnement » exécutif permettant de prioriser les « sujets clés et priorités » en fonction de la politique fiscale du groupe et de la criticité de chacun des sujets fiscaux. Une telle démarche concilie le besoin de vitesse et l’exigence de profondeur sur les thèmes structurants qui peuvent varier d’un groupe à l’autre.
4. Cas d’usage et résultats observés : ce que produit une approche Tax ERP
Dans le cadre de nos missions menées auprès de différents groupes, la revue du plan de comptes et des tax codes a permis de retirer des codes obsolètes, d’ajouter ceux requis par les reportings automatisés et d’instaurer une gouvernance de contrôle transactionnelle pour prévenir les postings erronés. Cela permet in fine d’alléger le besoin de testing de la donnée a posteriori. La définition d’une méthodologie de passage du booking Group & Local Gaap au Tax Ledger, assortie de recommandations sur les schémas d’écriture, permet une production d’une compliance fiscale plus stable et plus rapide à auditer. Il est également possible de concevoir des contrôles de TVA prédéclaratifs, dont la réconciliation retour de TVA-chiffre d’affaires et la validation des exonérations et de la TVA déductible.
Sur le volet reporting, l’identification des besoins par profil fiscal permet d’anticiper l’automatisation de tout ou partie des reportings fiscaux, de documenter les précalculs récurrents et d’alimenter les rapports requis par les autorités fiscales. En parallèle, la réflexion sur l’automatisation du calcul de la TVA déductible permet de poser les bases d’un traitement plus robuste du prorata TVA et de contribuer à fluidifier les boucles de clôture annuelles ou intermédiaires. L’effet cumulé se mesure en heures gagnées, en réduction des écarts postdéclaration et en meilleure prévisibilité des jalons.
Au delà des chiffres, la transformation change la posture de la fonction fiscale dans l’entreprise au travers d’une remise à plat des process et des interactions avec les autres parties prenantes. Elle permet à l’équipe fiscale de passer d’une situation de dépendance à une logique, d’anticipation et de pilotage optimisé.
5. Conduite du changement et pérennité : ancrer la dimension fiscale dans l’organisation
Former, documenter, transmettre
Un Tax ERP n’atteint sa pleine promesse que si les équipes qui l’exploitent sont formées et si la connaissance est capitalisée. La formation des utilisateurs et l’anticipation de l’adoption sur, par exemple, la détermination de la TVA, la gestion des tax codes, les workflows de validation et les réflexes de contrôle doit accompagner chaque vague de déploiement. La documentation des processus, des règles et des hypothèses, ainsi que la tenue d’un référentiel centralisé des positions techniques, facilitent les passations et sécurisent les audits.
Cette discipline documentaire est une assurance de long terme. Elle réduit la dépendance à quelques experts clés, et permet d’intégrer plus sereinement les évolutions d’organisation, de process, de systèmes ou de normes.
Gouverner sur la durée et aligner Finance-Tax-IT
La fiscalité ne doit pas devenir un angle mort après le go-live d’un nouvel ERP. Un comité régulier tripartite Finance Tax IT, des backlogs d’amélioration continue et une veille réglementaire outillée sont nécessaires pour maintenir la conformité et capter de nouvelles efficacités. Cet organe doit pouvoir arbitrer les demandes, priorise les évolutions et s’assure que la logique de design initial est respectée dans la durée. Il préserve la cohérence entre modèle de données, processus, contrôles et exigences externes.
Le résultat, au fil des cycles, est une fonction fiscale davantage intégrée, moins exposée aux urgences et mieux alignée sur les enjeux de performance et de transformation de l’entreprise.
6. Conclusion
Intégrer la fiscalité au cœur des programmes ERP présente un impératif de conformité mais surtout offre un levier de création de valeur. La combinaison d’un modèle de données à dimension fiscale, d’un Tax Ledger robuste et d’un cadre de contrôles automatiques intégrés permet de réduire les risques, d’automatiser les déclaratifs, de fiabiliser les clôtures et de préparer l’entreprise aux mutations réglementaires, de la facturation électronique aux exigences de reporting en temps réel. De telles exigences pourraient s’étendre à d’autres sujets dans les années à venir.
Les retours d’expérience confirment que les idées reçues sur la couverture « standard » des besoins fiscaux exposent les programmes de migration à des re-works coûteux, ou à l’extrême la mise à l’écart des départements fiscaux sur tous les enjeux de transformation Finance. La participation active de la fiscalité dès le stade de conception et de design du projet, associée à une traçabilité des exigences et une gouvernance précise Finance-Tax-IT est un vecteur clair pour transformer positivement et durablement l’impact de la fonction fiscale au sein de l’entreprise et lui permettre d’être à la hauteur des enjeux de transformation qui impactent profondément tous les business models. n