La lettre gestion des groupes internationaux

La donnée comme changement de paradigme de la matière douanière

Publié le 19 décembre 2025 à 12h40

 Temps de lecture 5 minutes

Par José-Manuel Moreno, avocat, associé TVA, PwC Société d’Avocats, Luana Higino Balbino, PwC Société d’Avocats et Anouchka Lécaille, avocate, PwC Société d’Avocats

La matière douanière se trouve actuellement à un carrefour décisif. Aux difficultés croissantes liées aux échanges internationaux, notamment dans le cadre de la nouvelle politique tarifaire américaine, s’ajoute la complexification des règles douanières et des exigences sectorielles, entraînant une multiplicité d’obligations et de responsabilités pour les importateurs et exportateurs européens. Dans ce contexte, la donnée devient l’élément structurant et indispensable, tandis que l’intelligence artificielle (IA) peut constituer un levier de facilitation de sa gestion et de son contrôle par les différentes parties prenantes.

Un diagnostic sans appel : fragmentation des données et surcharges déclaratives

Dans le cadre de leurs activités, les opérateurs doivent récupérer une donnée fiable et complète en amont de leurs opérations afin d’assurer le respect de leurs obligations déclaratives à l’importation ou à l’exportation, au titre de réglementations diverses : les biens à double usage (BDU), l’origine des marchandises importées ou encore le Mécanisme d’Ajustement Carbone aux Frontières (MACF), la déforestation importée (EUDR), le travail forcé et la responsabilité élargie du producteur (REP). En effet, 360 réglementations sectorielles environ peuvent impacter les opérations douanières.

Or, la circulation de l’information au sein même de l’entreprise est imparfaite. En pratique, il n’est pas rare de constater que chaque service reste maître de sa donnée et de la réglementation à laquelle il est soumis et que l’information ne circule pas ou de façon peu fluide entre ces différents services alors qu’une même donnée pourrait être nécessaire à plusieurs de ces services. La donnée est ainsi souvent redondante et les obligations se superposent sans interopérabilité.

Cette fragmentation a des effets tangibles en termes de fiabilité et cohérence de l’information traitée et impacte également le temps de traitement de l’information. Une étude stratégique en vue de l’intégration de la donnée au sein du système d’information interne ainsi que la rationalisation de la gestion des informations disponibles est désormais indispensable, l’IA pouvant par ailleurs être un outil d’aide précieux dans ce cadre.

L’IA : un outil d’aide tant pour les opérateurs que les autorités douanières

Tout d’abord, la qualité de la donnée est indispensable à sa bonne gestion. Pour ce faire, certains opérateurs ont recours à l’IA afin de les aider à déterminer les éléments douaniers devant être déclarés aux autorités. Elle permet par exemple de faciliter le classement tarifaire des marchandises, notamment lors de classement en masse de grande quantité de marchandises, sur la base de fiches techniques fournies par la Société ainsi que des textes réglementaires applicables et les rescrits publiés par les autorités. Des outils peuvent également aider à déterminer l’origine préférentielle ou la valeur en douane des marchandises.

L’IA peut également être utilisée pour rationaliser les opérations, automatiser des tâches répétitives ou identifier des risques, par exemple en mettant en évidence des factures complémentaires de frais de transport qui n’auraient pas été prises en compte au moment de l’importation, en rappelant les licences nécessaires aux opérations douanières envisagées ou encore en identifiant des informations déjà disponibles au sein du système d’information pouvant également être servies à différentes fins.

Bien entendu, ces outils ne doivent être envisagés que comme des facilitateurs et accélérateurs de prise de décision mais ne peuvent pas se substituer à un contrôle humain. Ainsi, si l’IA permet de faciliter et d’accélérer la détermination de ces éléments essentiels, il est primordial de garder un système Human-in-the-loop afin de contrôler les résultats et d’en assurer la conformité.

Enfin, l’IA peut également être utilisée en contrôle interne afin d’identifier des anomalies et de les traiter plus rapidement et efficacement. Ces contrôles peuvent, par exemple, consister en des vérifications des informations reprises dans les déclarations en douane, des alertes lors de changements de positions tarifaires ou des revues des clauses obligatoires relatives à l’application de certaines sanctions internationales intégrées dans les contrats avec les fournisseurs et les clients.

Par ailleurs, nous observons également de nombreux cas d’usages de l’IA du côté de l’administration douanière, notamment en vue d’améliorer la gestion et le ciblage des contrôles diligentés. C’est par exemple le cas de l’outil d’assistance à la détermination du classement tarifaire développé par l’Organisation Mondiale des Douanes (OMD) ou des efforts de ciblages qui devraient être mis en place par la future Autorité Douanière de l’Union Européenne dans le cadre de la réforme du Code des Douanes en cours. Des nombreux exemples peuvent également être cités à l’international (cf. cas des contrôles intelligents par les autorités américaines et brésiliennes notamment). L’organisation mondiale des douanes a par ailleurs rappelé, dans un rapport publié en mars 2025, le changement stratégique que représente l’intégration de l’IA dans le quotidien des autorités douanières (1).

En conclusion, il apparaît indispensable que les sociétés anticipent dès que possible ces évolutions en intégrant la gestion de la data douanière au cœur de leur stratégie. La mise en place de processus robustes, l’adoption d’outils adaptés et la formation des équipes permettront de répondre efficacement aux exigences croissantes. Se préparer dès aujourd’hui, c’est garantir sa résilience face à la transformation profonde des pratiques à l’ère de l’intelligence artificielle, de la digitalisation et de la multiplication des obligations réglementaires. 

1. Rapport détaillé sur l’adoption de l’intelligence artificielle et l’apprentissage automatique au sein de la douane, OMD


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