La lettre gestion des groupes internationaux

L’importance de la donnée dans la gestion du Pilier 2 : un enjeu clé pour les groupes multinationaux

Publié le 18 décembre 2025 à 16h18

 Temps de lecture 6 minutes

Par Jérôme Leroux, avocat associé, PwC Société d’Avocats et Sven Dufils, associé, PwC Société d’Avocats

L’entrée en vigueur du Pilier 2 de l’OCDE, instaurant un impôt minimum mondial de 15%, marque une évolution majeure du paysage fiscal international. Derrière ce changement technique, se cache une réalité opérationnelle : la fiscalité internationale devient (aussi) un sujet de gestion de la donnée.

Les groupes multinationaux se trouvent désormais confrontés à une exigence nouvelle : produire, centraliser et fiabiliser un volume d’informations financières, fiscales et extra-comptables afin de calculer un taux effectif d’imposition conforme aux règles du Pilier 2.

Dans ce contexte, la donnée n’est plus un simple support de la conformité fiscale : elle devient le cœur même de la stratégie Pilier 2, un actif à gouverner avec rigueur et anticipation.

1. Le Pilier 2 : un cadre conceptuellement simple, mais opérationnellement complexe

Le principe du Pilier 2 est aisément formulé : assurer qu’un groupe multinational paie au moins 15% d’impôt effectif dans chaque juridiction où il opère.

En revanche, sa mise en œuvre suppose de produire un calcul de taux effectif d’impôt (TEI) selon des règles uniformisées, reposant sur des données issues :

- Des états financiers consolidés (IFRS ou règlement ANC n°2020-01 pour les groupes français) ou les états financiers statutaires lorsqu’une juridiction donnée a pris l’option du référentiel comptable local pour les besoins du calcul de l’impôt national complémentaire (INC ou en anglais DMTT), ajustés selon les principes du Pilier 2 ;

- Des données fiscales locales (déficits fiscaux, crédits d’impôt, etc.) ;

- Et de paramètres de nature non fiscale (information sur les entités constitutives, localisation des salariés et des actifs corporels, etc.).

Cette combinaison d’informations hétérogènes, issues de systèmes multiples (ERP, outil de consolidation, tax reporting, etc.), fait émerger un défi inédit : le besoin d’une donnée globale, fiable et traçable.

2. La donnée : fondement de la conformité et du pilotage

Le Pilier 2 impose une granularité sans précédent. Chaque juridiction voire chaque entité constitutive devient une unité d’analyse autonome ; les ajustements doivent être documentés et les écarts justifiés.

Une donnée inexacte ou manquante peut fausser le TEI (Taux Effectif d’Impôt) et conduire à :

- Une sous-estimation de la top-up tax (et donc un risque de rehaussement par les administrations fiscales) ;

- Ou au contraire une sur-imposition si le groupe n’est pas en mesure de démontrer l’éligibilité à certaines exclusions ou ajustements.

La qualité des données devient donc un enjeu de gouvernance. Les Directions Fiscales doivent travailler en étroite collaboration avec les équipes de consolidation, comptables voire IT pour s’assurer que la donnée soit exacte, complète, et documentée.

Au-delà de la conformité, une donnée maîtrisée permet un pilotage.

La possibilité de simuler des TEI, d’identifier des éventuelles zones de risque ou d’opportunité et la capacité à anticiper les impacts d’une opération de croissance externe, d’un désinvestissement ou d’une restructuration deviennent essentiels.

Un groupe capable de fiabiliser et d’exploiter ses données du Pilier 2 pourra :

- Anticiper sa charge d’impôt minimum dans une juridiction notamment au regard d’une opération exceptionnelle ;

- Ajuster son organigramme juridique ou sa politique de prix de transfert ;

Et dialoguer de manière crédible avec les autorités fiscales, les auditeurs et les investisseurs.

- Ainsi, la donnée devient un outil de pilotage fiscal, au service de la stratégie d’entreprise.

3. Construire une architecture de données Pilier 2

La première étape consiste à cartographier les sources des données.

Une centralisation progressive est ensuite nécessaire : que les données proviennent de l’ERP, de l’outil de consolidation ou de fichiers Excel, elles doivent être intégrées dans un modèle commun, structuré autour des définitions GloBE (GloBe income / loss, covered taxes, etc.).

Puis, l’automatisation joue un rôle clé :

- Extraction automatique des données ;

- Contrôle de cohérence automatisée ;

- Génération des formulaires de calcul et déclaratifs (GloBE Information Return et autres déclarations).

Mais l’automatisation n’a de sens que si la traçabilité est assurée : chaque donnée doit pouvoir être reliée à sa source et accompagnée d’un audit trail documenté. C’est une condition essentielle pour la défense du groupe en cas de contrôle.

Enfin, la gouvernance des données Pilier 2 doit être clairement définie :

- Qui collecte ?

- Qui valide ?

- Qui conserve la documentation ?

Beaucoup de groupes instaurent aujourd’hui des comités transverses “Tax Data Governance”, associant à minima fiscalistes et consolideurs/comptables (mais aussi parfois des data analysts), afin d’assurer une approche cohérente et durable.

4. Les défis technologiques et humains

Les systèmes comptables et fiscaux traditionnels ne sont pas conçus pour le niveau de détail et la logique spécifique du Pilier 2.

Les entreprises doivent donc adapter leurs outils ou déployer des solutions spécialisées proposées par les grands éditeurs ou Cabinets.

Cependant, la technologie seule ne suffit pas : la qualité de la donnée dépend avant tout des processus humains de saisie, de validation et de documentation.

Le Pilier 2 crée un besoin nouveau : des fiscalistes capables de comprendre la donnée, et des data analysts capables de comprendre la fiscalité.

Les Directions Fiscales doivent donc investir dans la formation croisée : savoir lire un modèle de données, interpréter des mappings, comprendre la logique d’un flux automatisé.

Cette montée en compétence est la condition d’une gestion durable et proactive du Pilier 2.

Conclusion

Le Pilier 2 ne se résume pas à un taux de 15 % : il représente une mutation culturelle.

La fiscalité internationale entre dans l’ère de la donnée, où la conformité repose sur la transparence, la fiabilité et la maîtrise des flux d’information.

Les groupes qui sauront structurer cette donnée, la gouverner et l’exploiter en feront un véritable avantage compétitif : non seulement pour réduire leurs risques, mais aussi pour renforcer la crédibilité de leur stratégie fiscale auprès des parties prenantes.

En définitive, la réussite du Pilier 2 repose moins sur la complexité des calculs que sur la maturité des systèmes de données qui les sous-tendent.

Dans cette nouvelle ère, le fiscaliste devient aussi un architecte de la donnée, garant de la cohérence entre la fiscalité, la finance et la technologie. 


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